20.7.17

Démission de Pierre de Villiers. Macron, de Jupiter à Pyrrhus ?


Emmanuel Macron a voulu faire une démonstration de son autorité face au chef des Etats-majors des armées. Beaucoup se sont inquiétés du « feu ami ». Le général de Villiers est parti mais la crise ne s’est pas refermée. Fin de la « lune de miel » et victoire à la Pyrrhus pour Macron ?
Philippe Alcoy

«  Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et demain, et soutenir les ambitions de notre pays ». C’est avec ces mots que le général Pierre de Villiers annonçait sa démission en tant que chef des états-majors des armées (CEMA) après une semaine de polémique ouverte avec le président Emmanuel Macron au sujet de la réduction du budget pour la Défense.

C’est la première fois depuis 1958 qu’un CEMA démissionne. C’est une première crise pour le gouvernement Macron-Philippe qui n’est aucunement fermée. Bien qu’il s’agisse d’une crise au sommet de l’Etat, elle est en train d’annoncer les difficultés qui attendent Macron dans l’implémentation de ses contre-réformes et ses mesures d’austérité.

En effet, Macron ne pouvait pas reculer face à ce secteur influent de « l’Etat profond » car cela l’aurait affaiblit pour la suite de son agenda. C’est pour cela que, même si du point de vue des intérêts de la classe capitaliste il a commis des erreurs tactiques, Macron n’avait pas trop de choix.

Cependant le résultat est assez inquiétant pour le patronat et le gouvernement. En ce sens, après le départ de De Villiers un haut gradé de l’armée se demandait : « le prochain chef d’état-major, il aura droit de prendre la parole ou il devra masquer la réalité à l’Assemblée nationale ? ». En effet, la crise avec l’armée est en train de poser un précédent qui risque d’entretenir une relation de méfiance au sommet de l’Etat entre le gouvernement, l’exécutif et le commandement des forces armées.

Maintenir l’unité de la majorité

 

Macron est conscient du risque pour l’unité de sa majorité, notamment face aux prochaines épreuves et frictions qui s’annoncent dans les prochains mois et/ou années au sein de l’appareil d’Etat mais aussi avec les travailleurs et la jeunesse.

Ainsi, alors que les députés de la majorité présidentielle, le premier ministre Edouard Philippe et plusieurs ministres étaient réunis au secrétariat d’Etat des relations avec le Parlement, Macron leur a rendu visite par surprise. Il y a déclaré : « je ne vous le cache pas, il y aura des débats difficiles, ils seront budgétaires, ils seront parfois humains (…) Mais gardez cette culture du respect mutuel et du travail avec le gouvernement, parce que ce sera en soi un changement profond par rapport à ce qui a été vécu ces dernières années ».

Le silence de Jean-Yves Le Drian, ancien ministre de la Défense et actuel ministre des Affaires Etrangères, est particulièrement inquiétant. En effet, le général De Villiers est un de ses proches et selon des sources Macron lui-même aurait voulu écarter Le Drian de la Défense pour avoir la main sur ce ministère stratégique.

« L’Etat profond » 

 

La crise avec l’armée met en avant les intérêts qui existent au sein de l’appareil d’Etat, de certains secteurs de « l’Etat profond ». Car, si parmi les politiciens et technocrates au service des capitalistes il y a un consensus absolu quant aux attaques à mener contre les conditions de travail et de vie des classes populaires, il en va tout autrement quand il s’agit de toucher à leurs intérêts propres.

C’est ainsi qu’avant même la crise avec le général de Villiers, on avait déjà vu la protestation des autorités locales contre la mesure visant à éliminer la taxe d’habitation, ce que priverait beaucoup de communes d’une partie de leurs revenus.

Macron a réussi à gagner l’élection présidentielle et à obtenir une majorité absolue pour son parti. Un parti qui a à peine un peu plus d’un an. Le caractère « nouveau » de son mouvement a été mis en avant de façon démagogique justement pour gagner les élections « contre la vieille politique ». Cela s’est révélé payant. Or, la direction d’un Etat, d’autant plus quand il s’agit d’une des puissances impérialistes les plus importantes au monde, exige plus que de gagner des élections. Les liens avec « l’Etat profond », avec les différents secteurs avec des intérêts économiques et politiques propres à l’intérieur de l’appareil de l’Etat dont les forces armées, les technocrates, hauts fonctionnaires et élus locaux constituent une partie importante.

Pour le « jeune président » et son équipe la gestion des relations avec cet « Etat profond » reste un test important à passer vis à vis du grand patronat.

L’opposition parlementaire : le retour des « morts-vivants »

 

La crise entre Macron et l’armée est un cadeau inespéré pour les partis de l’opposition parlementaire. Alors qu’ils se trouvent pratiquement tous, à droite comme à « gauche », traversés par des crises profondes, la dispute entre l’ex CEMA et le chef de l’Etat leur permet d’oublier un moment leur propre crise et d’essayer d’avoir un poids dans la situation plus important que la réalité.

Ainsi, tous ont trouvé bon de prononcer leur petite phrase de soutien à Pierre de Villiers. « Le président de la République reproche à ce grand soldat de s’être exprimé librement devant les députés » a déclaré Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. « Depuis le début, le général de Villiers se comporte en chef quand Macron se comporte en petit chef », a réagi de son côté le vice-président du Front national, Florian Philippot.

Mais si de « morts-vivants » il s’agit, que dire des réactions de ces (rares) députés PS qui tout à coup se trouvent une occasion d’exister : du démissionnaire Hamon jusqu’à l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, plusieurs personnalités du PS, ou associées, sont allées de leur petit mot de soutien au général.

En effet, le « phénomène » Macron est en grande partie un résultat de la crise profonde du régime politique français et de ses partis. Or, cela n’épargne pas LREM des conséquences de cette crise. En effet, il n’y a aucun doute que les « fuites » des propos du général sont du fait des députés de l’opposition qui avec une telle polémique essayent de sauver leurs propres formations politiques et affaiblir le gouvernement et le parti de Macron.

La France Insoumise maintient son soutien au général de Villiers

 

Au cours de cette crise, la France Insoumise, par le biais du député Alexis Corbière et de Mélenchon lui-même, avait exprimé son soutien au général Pierre de Villiers, frère du souverainiste et très réactionnaire Philippe de Villiers.

Ainsi, après la démission du CEMA de Villiers, A. Corbière à écrit sur Twitter : « Je regrette la démission du Gal #devilliers. Homme d’honneur, il a fait son devoir en s’exprimant devant la Commission Défense de l’Ass Nale ».

Effectivement, quand on déclare aux vents et marées sa fierté de « la grandeur de la France », de sa « puissance maritime » (coloniale), la pente est glissante et le risque de finir par saluer « l’honneur » de la crème d’une armée impérialiste énorme, voire inévitable.

Profiter de la brèche

 

Pour essayer de calmer une possible fronde au sein de l’armée Macron avait promis, au milieu de la crise, une augmentation de 1,5 milliards d’euros pour le budget de la Défense en 2018. Mais cela ne semble pas avoir eu trop d’effet.

Pour essayer de regagner la confiance des militaires le gouvernement est très explicite : « quand ils se compareront aux autres ministères dans la loi de finances 2018, les militaires comprendront enfin à quel point ils sont gâtés ».

Que l’on prenne acte. Macron et son gouvernement a déclaré la guerre aux classes populaires et aux travailleurs. Effectivement, on peut s’attendre à des coupes très dures dans des secteurs fondamentaux pour la qualité de vie des masses comme l’éducation ou la santé, déjà durement touchés par des contre-réformes antérieures.

Le gouvernement, dans cette dispute au sommet entre des camps réactionnaires, est entrain de prendre un coup. Une brèche s’est ouverte au sein de la classe dominante. Pour les travailleurs, la jeunesse précarisée et l’ensemble des classes populaires il s’agit d’en tirer profit et préparer la lutte pour freiner la contre-réforme du code du travail et l’ensemble des attaques antipopulaires. Continuer avec des pseudo-négociations et des concertations est le meilleur moyen de permettre au gouvernement et au patronat de faire passer leurs attaques.

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