Emmanuel
Macron a voulu faire une démonstration de son autorité face au chef des
Etats-majors des armées. Beaucoup se sont inquiétés du « feu ami ». Le
général de Villiers est parti mais la crise ne s’est pas refermée. Fin
de la « lune de miel » et victoire à la Pyrrhus pour Macron ?
« Dans les circonstances actuelles, je considère ne plus
être en mesure d’assurer la pérennité du modèle d’armée auquel je crois
pour garantir la protection de la France et des Français, aujourd’hui et
demain, et soutenir les ambitions de notre pays ». C’est avec ces
mots que le général Pierre de Villiers annonçait sa démission en tant
que chef des états-majors des armées (CEMA) après une semaine de
polémique ouverte avec le président Emmanuel Macron au sujet de la
réduction du budget pour la Défense.
C’est la première fois depuis 1958 qu’un CEMA démissionne. C’est une
première crise pour le gouvernement Macron-Philippe qui n’est aucunement
fermée. Bien qu’il s’agisse d’une crise au sommet de l’Etat, elle est
en train d’annoncer les difficultés qui attendent Macron dans
l’implémentation de ses contre-réformes et ses mesures d’austérité.
En effet, Macron ne pouvait pas reculer face à ce secteur influent de
« l’Etat profond » car cela l’aurait affaiblit pour la suite de son
agenda. C’est pour cela que, même si du point de vue des intérêts de la
classe capitaliste il a commis des erreurs tactiques, Macron n’avait pas
trop de choix.
Cependant le résultat est assez inquiétant pour le patronat et le
gouvernement. En ce sens, après le départ de De Villiers un haut gradé
de l’armée se demandait : « le prochain chef d’état-major, il aura droit
de prendre la parole ou il devra masquer la réalité à l’Assemblée
nationale ? ». En effet, la crise avec l’armée est en train de poser un
précédent qui risque d’entretenir une relation de méfiance au sommet de
l’Etat entre le gouvernement, l’exécutif et le commandement des forces
armées.
Maintenir l’unité de la majorité
Macron est conscient du risque pour l’unité de sa majorité, notamment
face aux prochaines épreuves et frictions qui s’annoncent dans les
prochains mois et/ou années au sein de l’appareil d’Etat mais aussi avec
les travailleurs et la jeunesse.
Ainsi, alors que les députés de la majorité présidentielle, le
premier ministre Edouard Philippe et plusieurs ministres étaient réunis
au secrétariat d’Etat des relations avec le Parlement, Macron leur a
rendu visite par surprise. Il y a déclaré : « je ne vous le cache pas,
il y aura des débats difficiles, ils seront budgétaires, ils seront
parfois humains (…) Mais gardez cette culture du respect mutuel et du
travail avec le gouvernement, parce que ce sera en soi un changement
profond par rapport à ce qui a été vécu ces dernières années ».
Le silence de Jean-Yves Le Drian, ancien ministre de la Défense et
actuel ministre des Affaires Etrangères, est particulièrement
inquiétant. En effet, le général De Villiers est un de ses proches et
selon des sources Macron lui-même aurait voulu écarter Le Drian de la
Défense pour avoir la main sur ce ministère stratégique.
« L’Etat profond »
La crise avec l’armée met en avant les intérêts qui existent au sein
de l’appareil d’Etat, de certains secteurs de « l’Etat profond ». Car,
si parmi les politiciens et technocrates au service des capitalistes il y
a un consensus absolu quant aux attaques à mener contre les conditions
de travail et de vie des classes populaires, il en va tout autrement
quand il s’agit de toucher à leurs intérêts propres.
C’est ainsi qu’avant même la crise avec le général de Villiers, on
avait déjà vu la protestation des autorités locales contre la mesure
visant à éliminer la taxe d’habitation, ce que priverait beaucoup de
communes d’une partie de leurs revenus.
Macron a réussi à gagner l’élection présidentielle et à obtenir une
majorité absolue pour son parti. Un parti qui a à peine un peu plus d’un
an. Le caractère « nouveau » de son mouvement a été mis en avant de
façon démagogique justement pour gagner les élections « contre la
vieille politique ». Cela s’est révélé payant. Or, la direction d’un
Etat, d’autant plus quand il s’agit d’une des puissances impérialistes
les plus importantes au monde, exige plus que de gagner des élections.
Les liens avec « l’Etat profond », avec les différents secteurs avec des
intérêts économiques et politiques propres à l’intérieur de l’appareil
de l’Etat dont les forces armées, les technocrates, hauts fonctionnaires
et élus locaux constituent une partie importante.
Pour le « jeune président » et son équipe la gestion des relations
avec cet « Etat profond » reste un test important à passer vis à vis du
grand patronat.
L’opposition parlementaire : le retour des « morts-vivants »
La crise entre Macron et l’armée est un cadeau inespéré pour les
partis de l’opposition parlementaire. Alors qu’ils se trouvent
pratiquement tous, à droite comme à « gauche », traversés par des crises
profondes, la dispute entre l’ex CEMA et le chef de l’Etat leur permet
d’oublier un moment leur propre crise et d’essayer d’avoir un poids dans
la situation plus important que la réalité.
Ainsi, tous ont trouvé bon de prononcer leur petite phrase de soutien
à Pierre de Villiers. « Le président de la République reproche à ce
grand soldat de s’être exprimé librement devant les députés » a déclaré
Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. « Depuis le début,
le général de Villiers se comporte en chef quand Macron se comporte en
petit chef », a réagi de son côté le vice-président du Front national,
Florian Philippot.
Mais si de « morts-vivants » il s’agit, que dire des réactions de ces
(rares) députés PS qui tout à coup se trouvent une occasion d’exister :
du démissionnaire Hamon jusqu’à l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques
Urvoas, plusieurs personnalités du PS, ou associées, sont allées de leur
petit mot de soutien au général.
En effet, le « phénomène » Macron est en grande partie un résultat de
la crise profonde du régime politique français et de ses partis. Or,
cela n’épargne pas LREM des conséquences de cette crise. En effet, il
n’y a aucun doute que les « fuites » des propos du général sont du fait
des députés de l’opposition qui avec une telle polémique essayent de
sauver leurs propres formations politiques et affaiblir le gouvernement
et le parti de Macron.
La France Insoumise maintient son soutien au général de Villiers
Au cours de cette crise, la France Insoumise, par le biais du député
Alexis Corbière et de Mélenchon lui-même, avait exprimé son soutien au
général Pierre de Villiers, frère du souverainiste et très réactionnaire
Philippe de Villiers.
Ainsi, après la démission du CEMA de Villiers, A. Corbière à écrit
sur Twitter : « Je regrette la démission du Gal #devilliers. Homme
d’honneur, il a fait son devoir en s’exprimant devant la Commission
Défense de l’Ass Nale ».
Effectivement, quand on déclare aux vents et marées sa fierté de « la
grandeur de la France », de sa « puissance maritime » (coloniale), la
pente est glissante et le risque de finir par saluer « l’honneur » de la
crème d’une armée impérialiste énorme, voire inévitable.
Profiter de la brèche
Pour essayer de calmer une possible fronde au sein de l’armée Macron
avait promis, au milieu de la crise, une augmentation de 1,5 milliards
d’euros pour le budget de la Défense en 2018. Mais cela ne semble pas
avoir eu trop d’effet.
Pour essayer de regagner la confiance des militaires le gouvernement
est très explicite : « quand ils se compareront aux autres ministères
dans la loi de finances 2018, les militaires comprendront enfin à quel
point ils sont gâtés ».
Que l’on prenne acte. Macron et son gouvernement a déclaré la guerre
aux classes populaires et aux travailleurs. Effectivement, on peut
s’attendre à des coupes très dures dans des secteurs fondamentaux pour
la qualité de vie des masses comme l’éducation ou la santé, déjà
durement touchés par des contre-réformes antérieures.
Le gouvernement, dans cette dispute au sommet entre des camps
réactionnaires, est entrain de prendre un coup. Une brèche s’est ouverte
au sein de la classe dominante. Pour les travailleurs, la jeunesse
précarisée et l’ensemble des classes populaires il s’agit d’en tirer
profit et préparer la lutte pour freiner la contre-réforme du code du
travail et l’ensemble des attaques antipopulaires. Continuer avec des
pseudo-négociations et des concertations est le meilleur moyen de
permettre au gouvernement et au patronat de faire passer leurs attaques.
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