A
la lumière de la capitulation d’Alexis Tsipras face à la « Troïka » en
2015 et du choc du Brexit en 2016, un atelier s’est tenu à l’université
d’été du NPA sur la politique des anticapitalistes face à l’Union
Européenne.
Des militants de plusieurs pays européens (Espagne, Grèce,
Grande-Bretagne, Allemagne et France), dont Stathis Kouvélakis, ex
membre de la direction de Syriza, ont animé l’atelier intitulé « Projet
européen en crise : où en est on ? ».
L’atelier était divisé en deux parties : l’une sur la situation
politique et sociale en Grèce sous le gouvernement Syriza-Anel, en
Grande-Bretagne après le Brexit et les négociations avec l’Union
Européenne et en Allemagne qui est la principale puissance européenne et
où des élections générales auront lieu dans quelques semaines ; l’autre
partie abordait plus directement la politique des anticapitalistes face
à l’Union Européenne et était animée par Alex Merlo
(Podemos-Anticapitalistas), S. Kouvélakis (Unité Populaire) et Catherine
Samary (NPA).
La trahison de Syriza et la montée de Corbyn
Dès la première partie, on pouvait constater quelques contrastes
politiques importants. Ainsi, Tassos Anastassiadis d’OKDE-Sapartakos
(qui participe du front anticapitaliste Antarsya en Grèce) a exposé la
politique antipopulaire du gouvernement de Syriza-Anel et considéré que
celui-ci avait signifié une « défaite pour le mouvement ouvrier ». Tout
de suite après lui, Fred Leplat, de Socialist Resistance de
Grande-Bretagne, après avoir parlé de la crise du Parti Conservateur
suite au vote du Brexit a évoqué le « phénomène » autour de Jeremy
Corbyn à la tête du Labour. Pour lui il faut « travailler à l’élection
d’un gouvernement anti-austérité » dirigé par le Labour de Corbyn, qui
pourrait devenir un point d’appui pour la résistance aux politiques
néolibérales.
Cette séquence pendant l’introduction au débat était intéressante car
elle exposait clairement le raisonnement politique qui a amené toute
une partie de l’extrême gauche européenne à soutenir, de façon plus ou
moins critique, parfois de façon totalement acritique, Syriza en Grèce.
Et cela jusqu’à la veille de la capitulation de Tsipras face à la Troïka
(FMI, BCE, Commission Européenne).
Cette fois F. Leplat nous offrait la « version britannique » de la
même politique. Mais en pire. Pire car deux ans se sont écoulés depuis
que le gouvernement Syriza-Anel est passé avec armes et bagages du côté
du camp « austéritaire » en Grèce.
T. Anastassiadis parlait de « défaite » pour le mouvement ouvrier et
de masses en Grèce suite à ce retournement. C’est une définition forte
qui mérite une réflexion et discussion pour en tirer les leçons
stratégiques centrales pour les révolutionnaires, entre autres, sur le
rôle des formations, qu’on pourrait appeler néoréformistes, comme
Syriza.
En ce sens on peut se demander si la capitulation du gouvernement
Syriza-Anel a représenté une « défaite » pour les travailleurs et les
masses ou l’aboutissement d’un processus de déviation électoraliste de
la colère populaire, suite à l’épuisement de la stratégie de contention
des luttes de la part des directions syndicales conciliatrices.
Autrement dit, à quel moment se place cette défaite (importante même si
partielle) pour les travailleurs : au moment de la trahison de Syriza ou
dans le fait que le mouvement de masses n’a pas pu dépasser la
stratégie des bureaucraties ?
On peut ainsi réfléchir justement au rôle complémentaire entre la
politique conciliatrice des bureaucraties dans les syndicats et celle
des directions des partis néoréformistes, comme Syriza, dans les
processus de résistance face à la crise des régimes et aux attaques des
capitalistes (même si l’on ne peut pas dire qu’il y ait toujours des
liens organiques forts entre eux). L’expérience grecque nous montre
aujourd’hui que Syriza est devenu le principal agent des politiques
d’austérité contre les travailleurs et les masses et un atout pour les
capitalistes nationaux et les puissances impérialistes européennes.
Une stratégie révolutionnaire face à l’UE
Dans la deuxième partie de l’atelier, on est rentré plus directement
dans la question de que faire face à l’Union Européenne, en partant
aussi de l’exemple grec. Dans cette partie, Alex Merlo, S. Kouvélakis et
C. Samary ont introduit la discussion en analysant le caractère
structurellement antidémocratique, néolibéral et surtout impérialiste de
l’UE (Kouvélakis). Tous ont également pointé l’échec total de Syriza
pour faire face à la pression de la Troïka et au chantage de l’UE. La
question au fond était celle de la politique d’un « gouvernement de
gauche » face à l’UE.
Le « débat » entre les exposants reposant de fait sur les meilleures
politiques à mettre en place contre l’UE. Certains
(Podemos-Anticapitalistas) mettant plus l’accent sur la nécessité d’un
« Plan B », mettant en avant une « stratégie de désobéissance » face à
l’UE ; d’autres mettant l’accent sur la nécessité de créer un « pôle
hégémonique alternatif au nationalisme et au néolibéralisme » sur la
question de l’UE (C. Samary).
Cependant, la discussion posée comme telle se situait dans le cadre
d’une stratégie visant à constituer un « gouvernement de gauche anti
austérité », dans le cadre des institutions politiques de l’Etat
capitaliste. Ce gouvernement, dans le meilleur des cas, devrait
s’appuyer et/ou déclencher des « luttes sociales » pour appliquer des
politiques de « rupture » ou de « désobéissance ». Les différences se
poseraient sur le fait de savoir s’il faut rompre d’emblée avec l’UE ou
non ; sur le fait de savoir si la rupture avec l’UE et l’euro sont ou
non des buts en soi ; sur le fait de considérer la France, par son poids
économique et politique, comme un pays centrale dans la lutte pour la
destruction de l’UE du capital.
Autrement dit, ce qui aurait amené Syriza à la capitulation face à
l’UE ne serait pas, en dernière instance, sa stratégie réformiste et
conciliatrice avec les capitalistes mais l’absence d’une option de
« rupture » avec les institutions européennes.
Or, la réalité est que sans s’attaquer aux intérêts des grands
capitalistes nationaux et étrangers (mise sous contrôle ouvrier des
entreprises des secteurs clés, expropriation des banques), du capital
impérialiste, au chantage de la dette (annulation de la dette), la
rupture avec l’UE et l’euro auraient pu prendre une tournure bien plus
dramatique pour les travailleurs et les classes populaires (dévaluation
drastique de la monnaie nationale et perte du pouvoir d’achat,
sanctions économiques contre la Grèce, fermeture d’entreprises et
licenciements, entre autres).
On ne peut pas exclure non plus que face à une aggravation de la
crise économique et de la conjoncture internationale certains secteurs
importants de la classe dominante nationale ne finissent par adopter un
programme de « rupture » avec l’UE et l’euro. Et ainsi, les
révolutionnaires pourraient se trouver sur une même position que des
courants ouvertement capitalistes et anti ouvriers. Exclure la
possibilité théorique que les capitalistes européens eux-mêmes, poussés
par des contradictions internes, mettent fin à l’UE ce serait une erreur
fatale.
L’UE et l’euro sont effectivement parmi les plus grandes victoires de
l’impérialisme européen des dernières décennies. Ses institutions,
comme cela a été dit correctement pendant le débat, sont
structurellement antidémocratiques et néolibérales. Comme l’a signalé S.
Kouvélakis, les interventions de la BCE à chaque crise importante,
montrent le rôle central de cette institution dont les dirigeants ne
sont élus par personne, mis à part les grands capitalistes. L’UE est en
ce sens un projet profondément anti ouvrier, antipopulaire.
C’est pour cela que négliger les luttes qui vont dans le sens de
contester les mesures (même partielles) prises au niveau européen contre
les conditions de vie des travailleurs et des masses serait une erreur
abstentionniste pour les révolutionnaires. Mais cette opposition doit
toujours poursuivre une logique de classe, internationaliste et
révolutionnaire. Il faut éviter que la lutte contre l’UE devienne un
« but en soi », séparé de la lutte contre les capitalistes nationaux. Et
cela notamment quand, comme dans le cas de la France, ceux-ci sont au
cœur du « projet européen », des attaques de l’UE contre les
travailleurs et de la soumission des peuples des pays de la périphérie
européenne.
La lutte contre l’UE et ses institutions doit faire partie de la
lutte anticapitaliste et révolutionnaire pour un gouvernement des
travailleurs dans la perspective des Etats Unis Socialistes d’Europe,
seule alternative réaliste et révolutionnaire au nationalisme
« europhobe ». Cependant, formuler la rupture avec l’UE et l’euro en
tant qu’« étape » de la lutte contre le capitalisme amène inévitablement
à se retrouver, de fait, côte à côte avec des courants souverainistes
réactionnaires.
L’UE est une arme des capitalistes, un atout important de
l’impérialisme. Et comme telle elle sera utilisée contre tout
gouvernement réformiste/conciliateur pour augmenter la pression sur
celui-ci. Ensuite elle pourrait être utilisée comme un prétexte pour
l’utilisation d’autres mécanismes des capitalistes, soit pour faire
échouer le plus rapidement possible l’expérience d’un « gouvernement de
gauche », soit pour le coopter, comme cela a été le cas de Syriza.
En ce sens, la question qui se pose pour les travailleurs et les
classes populaires face à l’UE est d’ordre stratégique. La stratégie
réformiste et conciliatrice amène droit à l’échec. Les stratégies
« intermédiaires » défendant la perspective d’un « gouvernement de
gauche » qui serait le point d’appui des mobilisations populaires,
caricaturant la tactique du « gouvernement ouvrier » mais complètement
en dehors d’un contexte révolutionnaire, sont également vouées à
l’échec. Il s’agit donc d’y opposer une stratégie révolutionnaire qui
mette les travailleurs et les classes subalternes en ordre de bataille
contre les institutions de l’Etat capitaliste, à travers de leurs
propres organes d’auto-organisation, pour le pouvoir ouvrier. La lutte
des travailleurs pour le pouvoir, sans négliger des luttes partielles
importantes, c’est le principal élément pour la destruction de l’UE
impérialiste.
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