Les
semaines passent, la répression de l’Etat central s’accentue contre le
mouvement démocratique pour l’indépendance de la Catalogne, et Lutte
Ouvrière continue à tenir une position politique inconsistante et
intenable, se couvrant derrière un discours abstrait et incantatoire sur
« l’unité de la classe ouvrière » mais, de fait, défendant le statu
quo.
Dans le dernier numéro de son hebdomadaire Lutte Ouvrière (LO), reprend le court édito du bulletin d’entreprise
de son organisation sœur dans l’Etat Espagnol, Voz Obrera. Celui-ci
devait actualiser la position de LO depuis la semaine dernière. Quand le
Gouvernement catalan déclarait l’indépendance, Madrid répondait avec
l’application de l’article 155 et la suspension de l’autonomie catalane.
Ensuite, ce fut « l’exil » de Puigdemont et de quelques-uns de ses
« conseillers » à Bruxelles et la capitulation totale de la direction
bourgeoise catalane.
L’article commence avec une déclaration juste face à l’offensive de
Madrid : « En tant que Voz Obrera, nous sommes solidaires des secteurs
populaires qui luttent pour leur droit de choisir leur avenir politique
et solidaires de ceux qui sont ou vont être victimes de la répression du
gouvernement de Rajoy. Il faut exiger la libération immédiate des
détenus quel que soit leur parti. Qu’ils soient de l’ANC, d’Omnium ou
d’autres partis ou organisations ».
Cependant, on voit déjà un premier « paradoxe » ou inconséquence de la position de LO. Car on affirme être solidaires « des secteurs populaires qui luttent pour leur droit de choisir leur avenir politique »,
or pour le moment, après que le référendum du 1 octobre ait exprimé le
souhait de la population catalane de vivre dans un nouvel Etat
indépendant, jamais LO n’a exprimé le respect de ce choix.
Au contraire, sur la question de l’indépendance, LO s’est concentré à
marteler le « danger du piège nationaliste », que la direction du
« procés » était bourgeoise, ce qui, pour le moment, est tout à fait
vrai. On lit ainsi : « Les nationalismes sont des courants politiques
au service des intérêts des classes bourgeoises qui ont besoin d’un
État pour conduire leurs affaires et exploiter les travailleurs ».
Cette petite phrase qui se veut une ode à l’engagement
internationaliste supposé de LO est en réalité une expression de son
économicisme et de son mépris vis-à-vis des revendications
démocratiques. LO confond les courants nationalistes, bourgeois et
petit-bourgeois, avec la revendication démocratique de
l’auto-détermination et le droit à la séparation. Ces revendications
peuvent effectivement être manipulées et utilisées par des secteurs
bourgeois pour tromper les travailleurs et les classes populaires.
Cependant, cela ne peut pas servir pour masquer qu’il existe un
sentiment indépendantiste parmi les travailleurs et les masses en
Catalogne, même si cela est très loin d’être unanime, et que les
révolutionnaires doivent aussi avoir une politique vis-à-vis de ces
revendications démocratiques.
Dans un texte de 1931
sur la situation en Espagne, Léon Trotsky établissait clairement la
distinction entre le séparatisme bourgeois et le séparatisme ouvrier et
populaire : « tandis que le séparatisme de la bourgeoisie catalane
n’est qu’un moyen pour elle de jouer avec le gouvernement madrilène
contre le peuple catalan et espagnol, le séparatisme des ouvriers et
paysans n’est que l’enveloppe d’une révolte intime, d’ordre social. Il
faut établir une rigoureuse distinction entre ces deux genres de
séparatisme ».
Cela nous amène à une autre inconsistance de la position de LO,
peut-être la plus claire, peut-être la pire. On lit dans l’article : « Si
par exemple en Catalogne, devant la fuite des entreprises, les
travailleurs entraient en lutte pour prendre le contrôle des
entreprises, nous serions à leurs côtés. Comme nous le serions si cela
se produisait dans d’autres régions, car cela correspond aux intérêts du
monde ouvrier dans l’ensemble du pays ».
Mais qu’est-ce qui est en train de faire fuir les entreprises et les
banques (même si ce n’est pas de façon massive) de la Catalogne si ce
n’est le risque que l’on déclare l’indépendance ? Qu’est-ce que ces
capitalistes fuient si ce n’est le risque que cette indépendance remette
en cause le Régime de 1978 ? Qu’est-ce que ces capitalistes fuient si
ce n’est le risque que cette indépendance ouvre la boite de Pandore des
revendications sociales d’une population durement touchée par la crise
économique ? Voilà le sens pour les révolutionnaires d’intervenir avec
un programme de classe, révolutionnaire, socialiste, dans cette crise
majeure.
En effet, un parti révolutionnaire avec une certaine influence dans
la classe ouvrière et les secteurs populaires devrait affirmer son
engagement à respecter le souhait, déjà largement exprimé, de la
population catalane d’avoir son propre Etat. Il devrait affirmer qu’il
se battra à ses côtés contre les attaques de Madrid pour garantir ce
droit démocratique fondamental. Mais en même temps il devrait expliquer
patiemment qu’une vraie indépendance ne peut avoir lieu que de la main
de la classe ouvrière en alliance avec les secteurs populaires, avec la
jeunesse précarisée, donc en lutte pour une Catalogne ouvrière et
socialiste au service des intérêts des travailleurs et des masses
populaires. Ce n’est que comme cela que, face aux délocalisations, les
travailleurs catalans ou d’autres nationalités, pourraient se battre
ensemble pour le contrôle de leurs entreprises contre les patrons
espagnols ou catalans. Ce n’est que comme cela que l’on pourrait aider à
l’unité de la classe ouvrière en Catalogne, mais aussi dans le reste de
l’Etat Espagnol.
Sur cette base, l’expérience de lutte pour le droit à l’indépendance
de la Catalogne pourrait accélérer la prise de conscience, parmi les
travailleurs, que les capitalistes espagnols ou catalans, dans le cadre
de l’Etat Espagnol ou de celui d’une Catalogne indépendante capitaliste
n’ont pas les mêmes intérêts qu’eux. Avec l’expérience de la répression
de la part de l’Etat central d’une part et de la lâcheté de la direction
bourgeoise catalane de l’autre, les travailleurs et les classes
populaires pourraient rompre avec ces directions politiques
capitalistes.
Mais, si on comprend bien, la logique de Voz Obrera/LO est la
suivante : « ouvriers catalans (et d’autres nationalités), d’abord
faites la démonstration que vous défendez vos intérêts, par exemple, en
prenant le contrôle des usines qui délocalisent et là on vous soutiendra
, peut-être même si vous êtes pour l’indépendance ! »
Cette logique est totalement contraire à celle d’un parti
d’avant-garde pour lequel se sont toujours battus les
marxistes-révolutionnaires. Dans le même texte, cité plus haut, Trotsky
affirmait : « pour disjoindre de leur bourgeoisie les ouvriers et les
paysans qui sont opprimés dans leur sentiment national, l’avant-garde
prolétarienne doit prendre, sur cette question du droit des nationalités
à disposer d’elles-mêmes, la position la plus hardie, la plus sincère.
Les ouvriers défendront intégralement et sans réserve le droit des
Catalans et des Basques à vivre en Etats indépendants, dans le cas où la
majorité des nationaux se prononcerait pour une complète séparation. Ce
qui ne veut nullement dire que l’élite ouvrière doive pousser les
Catalans et les Basques dans la voie du séparatisme. Bien au contraire :
l’unité économique du pays, comportant une large autonomie des
nationalités, offrirait aux ouvriers et aux paysans de grands avantages
du point de vue de l’économie et de la culture générales ».
En plus de tout cela, dans le court article de LO après des
événements majeurs en Catalogne, il n’y a pas une ligne sur la monarchie
et on ne sait pas quelle attitude il faudrait avoir face aux élections
illégitimes et imposées par Rajoy le 21 décembre prochain. Leur
dénonciation de l’article 155 se limite pratiquement uniquement aux
actions les plus violentes et offensives de la part de Madrid comme
l’arrestation des leaders catalanistes.
Nous espérons cependant, qu’au moins sur la base de la condamnation
des arrestations et de la répression, LO appellera et participera aux
actions de solidarité et pour la libération des prisonniers politiques
catalans qui s’organiseront dans les prochains jours en France.
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