Après
la démission du premier ministre libanais Saad Hariri, visiblement
imposée par ses sponsors saoudiens, et des déclarations enflammées des
responsables gouvernementaux saoudiens, beaucoup se demandent si la
pétromonarchie du Golfe ira jusqu’à déclencher une agression armée
contre le Liban.
La semaine dernière le premier ministre libanais, Saad Hariri,
annonçait depuis Riyad sa démission et qu’il quittait le gouvernement
« d’unité nationale », auquel participe le Hezbollah. Cette décision a
pris tout le monde par surprise, notamment du fait que depuis un an, la
coalition au pouvoir semblait marcher sans trop de contradictions et
même était arrivée à se mettre d’accord sur un certain nombre de points
importants comme le budget, une première depuis dix ans.
Depuis sa déclaration publique de démission, Hariri n’est pas
retourné au Liban, certains parlant même d’une « prise d’otage ». Dans
une interview récente Hariri affirme qu’il rentrera bientôt au Liban
pour présenter officiellement sa démission. Cependant, ce qui apparaît
clairement pour tout le monde c’est que Hariri, allié direct du régime
saoudien, a été forcé par ses partenaires à la démission. La question
qui demeure c’est pourquoi ?
En effet, depuis que le régime de Bachar al-Assad a défait
l’opposition sunnite et repris une grande partie du territoire perdu et
que Daesh a également été vaincu aussi bien en Syrie qu’en Irak,
l’Arabie Saoudite a subi des revers importants. Non seulement la
position saoudienne a été affaiblie dans la région mais celle de son
rival régional, l’Iran, s’est renforcée. A cela il faut ajouter la
guerre désastreuse et criminelle que l’Arabie Saoudite mène au Yémen
(avec la complicité des puissances occidentales) et le fiasco de
l’offensive contre le Qatar de l’été dernier (crise qui se trouve dans
une impasse).
Dans ce contexte, la démission de Hariri vise à soumettre le
Hezbollah, membre du gouvernement « d’unité nationale » et allié central
de l’Iran, à la pression interne et externe. En effet, tout de suite
après la démission de Hariri, Riyad annonçait que le Liban était en
train de lui déclarer la guerre (notamment à travers l’aide du Hezbollah
– et de l’Iran – à la rébellion Houthi au Yémen). A la fin de la
semaine dernière les saoudiens invitaient leurs concitoyens à quitter le
Liban.
À tout cela il faut ajouter des déclarations belliqueuses comme
celles de Thamer al-Sabhan, ministre saoudien des affaires du Golfe : « les
sanctions américaines contre la milice du parti terroriste dans le
Liban [le Hezbollah] sont une bonne chose. Cependant, la solution pour
atteindre la sécurité et la paix régionale c’est une coalition
internationale pour combattre le Hezbollah et ceux qui travaillent avec
lui ».
L’Arabie Saoudite en attaquant le Hezbollah au Liban espère obtenir
un retrait des milices de celui-ci qui luttent avec Bachar al-Assad en
Syrie et avec d’autres rivaux saoudiens dans la région. Cependant, rien
ne peut assurer un succès de Riyad.
La réaction au Liban face à la démission de Hariri a été une étrange
unité politique pour s’y opposer et plaider pour la « stabilité » dans
le pays. L’UE et les États-Unis, pourtant totalement d’accord avec la
politique agressive des Saoudiens contre l’Iran et ses alliés, se sont
aussi prononcés contre toute déstabilisation du pays. L’UE craint
surtout qu’un conflit au Liban réactive une nouvelle crise de réfugiés
(il ne faudrait pas oublier que le Liban a accueilli 1,5 millions de
réfugiés syriens depuis 2011).
L’option militaire semble pour le moment la moins probable bien que l’on ne puisse rien écarter. Comme c’est affirmé dans le Financial Times : « le
pire des scénarios c’est la violence, bien que celui-ci soit le moins
probable. Cette option semble difficile pour Riyad à mettre en pratique,
car les Saoudiens n’ont pas d’alliés armés au Liban. Cependant, Riyad
pourrait, sur le long terme, chercher à former ou à armer des groupes
Sunnites, peut-être en utilisant la large population de réfugiés syriens
majoritairement sunnites qui ont fuit leur pays et sont dégoûtés du
rôle du Hezbollah. D’autres diplomates craignent que les dirigeants
saoudiens poussent en quelque sorte Israël vers une nouvelle
confrontation avec le Hezbollah ».
Un autre élément qui rend plus compliquée une nouvelle intervention militaire saoudienne c’est la crise interne au sommet de l’État.
Même si le prince héritier Mohammed bin Salman semble être en train de
verrouiller le régime et concentrer le pouvoir, on ne peut pas exclure
un rebondissement des factions exclues du pouvoir et une plus grande
déstabilisation interne.
Cependant, ce qui semble le plus probable aujourd’hui c’est que
l’Arabie Saoudite essaye de faire pression sur le Liban au moyen de
mesures économiques. Certains parlent de mesures comme la déportation de
travailleurs libanais du royaume. En effet, 500000 libanais travaillent
en Arabie Saoudite et cela rapporte entre 7 et 8 milliards de dollars
au Liban à travers des transferts d’argent (plus de 15% du PIB
libanais). Les Saoudiens pourraient aussi retirer des milliards de
dollars des coffres des banques libanaises.
Cette nouvelle manœuvre offensive de l’Arabie Saoudite dans la région
s’inscrit dans la concurrence réactionnaire entre Téhéran et Riyad pour
le leadership régional. Aussi bien l’Arabie Saoudite que l’Iran se
livrent une guerre avec des acteurs locaux interposés (des « proxys »).
Deux camps réactionnaires qui se livrent également à des atrocités
contre les populations locales.
Mais dans cette lutte réactionnaire, pour le moment, c’est l’Iran qui
semble être en train de vaincre. L’offensive saoudienne sur le Liban
pourrait être une expression de sa faiblesse face à son rival plutôt
qu’une démonstration de force. Comme c’est affirmé dans Geopolitical Futures : « le
seul endroit où l’Arabie Saoudite peut contrer l’Iran c’est le Liban.
Si Riyad peut mettre fin à la difficile paix que le pays a retrouvée ces
cinq dernières années, alors les Saoudiens pourront forcer l’Iran et le
Hezbollah à dédier moins de temps et d’attention à la Syrie et à l’Irak
et plus de temps au Liban. Mais l’Arabie Saoudite a ses propres
problèmes et il est peu probable qu’elle rencontre du succès dans cette
affaire. Dénoncer le Liban, c’est reconnaître à quel point Riyad est
devenu faible ».
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