La
reconnaissance de Jérusalem comme la capitale de l’État israélien est
peut-être en train de mettre fin à un long chapitre de l’histoire de la
diplomatie nord-américaine au Moyen Orient. De plus, Trump est en train
d’affaiblir en même temps les principaux alliés régionaux de
l’impérialisme.
Pendant des décennies les États-Unis ont joué le rôle de
« médiateur » du conflit israélo-palestinien. Bien que le soutien
inconditionnel de l’impérialisme nord-américain envers l’État sioniste
apparaissait comme évident pour tout le monde, les options défendues par
Washington pour « résoudre » le conflit apparaissaient comme les plus
crédibles, les seules envisageables même.
Or, cela impliquait en même temps garder et défendre son allié
sioniste mais jusqu’à une certaine limite. Autrement, l’image et la
position de « médiateur » serait trop décrédibilisée. Ainsi, sur un plan
symbolique, bien que depuis 1995 le projet de déménager l’ambassade des
États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem ait été voté par le congrès
nord-américain, les différents présidents (démocrates comme
républicains) ont toujours repoussé la décision, et ce, tous les six
mois. Trump lui-même l’a fait en juin dernier.
La reconnaissance de Jérusalem comme la capitale de l’État sioniste
est une rupture avec cette tradition. Il s’agit d’une prise de position
trop explicite en faveur d’Israël et des ailes les plus radicalisées du
sionisme. Ainsi, comme c’est affirmé dans Foreign Policy :
« à long terme, la décision de Trump pourrait signifier la fin d’un
processus de paix dirigé par les États-Unis. Évidemment, il n’y aura pas
de déclaration officielle de la Maison-Blanche ou du siège des Nations
Unies à New York annonçant un tel dénouement. Mais à toutes fins
pratiques, le rôle de Washington en tant que principal garant et unique
médiateur des négociations israélo-palestiniennes est probablement
arrivé à une fin. Avant même que Trump n’arrive au pouvoir, près de 25
années d’efforts de paix ratés avaient entamé la crédibilité de
Washington en tant qu’intermédiaire pour la paix, notamment parmi les
Arabes et les Palestiniens ».
La déclaration de Trump est en train d’être interprétée comme un
soutien des États-Unis à l’option de la « solution à un État » en
Palestine, celui d’Israël. Autrement dit, l’approfondissement de la
colonisation des terres palestiniennes par le sionisme. Mais bien que ce
tournant de l’impérialisme nord-américain ait comme conséquence
conjoncturelle de renforcer la position d’Israël, elle implique des
dangers plus à long terme. C’est ce que pointe l’analyse de Stratfor
sur la prise de position de Trump : « la solution à un État a ses
inconvénients pour Israël : ajouter des millions de Palestiniens aux
listes électorales condamnera la majorité juive du pays, mais leur
refuser le suffrage signifierait la fin d’Israël en tant que démocratie.
Ainsi, même si la situation actuelle peut sembler une victoire
politique pour Israël, cela mènera à des décisions difficiles ».
Cependant, c’est surtout pour les alliés arabes de l’impérialisme que
la politique de Trump est en train poser les bases pour leur faillite.
En effet, la politique ouvertement pro-sioniste du gouvernement
nord-américain représente un revers pour tous les dirigeants arabes qui
depuis des décennies prêchent pour une politique de négociations et de
compromis avec l’impérialisme et le sionisme pour trouver une
« solution » à la question palestinienne.
Le premier concerné évidemment est Mahmoud Abbas et son parti le
Fatah. Face à cette agression Abbas a le choix entre s’opposer à la
reconnaissance de Jérusalem comme capitale sioniste et rompre avec les
États-Unis, et donc perdre le soutien indispensable de Washington face à
la lutte avec le Hamas et autres forces palestiniennes ; ou de
capituler et perdre toute crédibilité au sein de la population
palestinienne.
L’Arabie Saoudite est elle aussi dans une situation fort
inconfortable. En effet, depuis plusieurs mois, on constate un
rapprochement explicite entre les Saoud et l’État sioniste. Là aussi, il
s’agit d’un tournant important car même si les deux États ont toujours
eu une collaboration étroite, notamment en termes de défense et
sécurité, cela se faisait habituellement secrètement ou
semi-secrètement. Or, l’Arabie Saoudite étant le pays qui a en son sein
les deux principaux lieux saints pour la religion musulmane, elle est
dans l’obligation de s’opposer à la reconnaissance de la souveraineté
sioniste sur Jérusalem, qui abrite le troisième lieu saint pour les
musulmans. Et cela sans parler de l’avancée que cela représente dans la
colonisation de la Palestine.
D’ailleurs, selon la télévision israélienne, News 10,
la décision de Trump aurait eu le feu vert des gouvernements saoudiens
et égyptiens. En même temps, les autorités saoudiennes ont ordonné aux
médias de leur pays de ne pas donner beaucoup temps d’antenne aux
informations traitant de la question de Jérusalem et de la décision de
Trump. A cela, il faut ajouter que l’ambassade saoudienne en Jordanie
conseillait à ses ressortissants de ne pas prendre part aux
manifestations pro-palestiniennes pour des « questions de sécurité ».
La Jordanie et l’Égypte sont aussi des pays alliés à l’impérialisme
et qui ont passé des accords de paix avec l’État israélien. La situation
actuelle les met en difficulté face à la grande contestation qui
s’exprime au sein de leur population. Dans le cas de l’Égypte, où le
gouvernement reçoit des milliards de dollars de la part des États-Unis
chaque année et participe activement à la répression de la résistance
palestinienne à Gaza, la pression pourrait être très forte pour
abandonner cette politique collaborationniste.
Il n’y a aucun doute que ceux qui vont sortir renforcés de cette
crise sont les régimes qui depuis plusieurs années ont un discours
hostile aux États-Unis et à l’État israélien, notamment l’Iran. Mais ce
sera également le cas de forces politiques comme le Hezbollah au Liban
et d’autres forces de l’islam politique comme al Qaeda et les restes de
Daesh lui-même, voire des forces islamistes nouvelles qui surgiront sous
les décombres de l’État Islamique. On peut également s’attendre à un
renforcement du régime turc, même si celui-ci a toujours entretenu de
bonnes relations avec Israël, même avec parfois quelques frictions.
Autrement dit, dans l’immédiat, on peut s’attendre au renforcement des
forces « anti sionistes » réactionnaires.
Cependant, bien que cela paraisse difficile aujourd’hui, on ne peut
pas exclure l’apparition de tendances progressistes au cours d’un
mouvement d’opposition à l’avancée de la colonisation et de l’oppression
du peuple palestinien. En effet, bien qu’on ne puisse pas prédire une
troisième « intifada » imminente, il est clair que la décision de Trump a
eu comme effet de faire descendre dans la rue des milliers de
personnes. Et c’est précisément cela que les gouvernements
pro-impérialistes craignent.
En Égypte le général al-Sissi sait très bien que sa légitimité n’est
pas très solide et que des manifestations anti-sionistes et
anti-américaines pourraient prendre très rapidement un ton
antigouvernemental. En Jordanie et en Palestine même il existe le même
risque. Bien que l’Arabie Saoudite semble avoir une maîtrise plus grande
des mouvements populaires, la lutte actuelle au sommet de l’État peut
avoir ouvert des brèches dans lesquelles un mouvement de solidarité avec
la Palestine pourrait s’engouffrer.
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