C’est
encore un coup pour le président ukrainien Petro Porochenko : un
tribunal a libéré l’opposant Mikheïl Saakashvili contre l’avis du
parquet qui demandait son assignation à résidence avec bracelet
électronique. Dimanche des milliers de personnes avaient défilé dans les
rues de Kiev pour exiger sa libération et l’ouverture d’une procédure
d’impeachment contre le président. La crise politique s’installe dans le
camp pro-occidental.
La semaine dernière les forces de sécurité avaient essayé
d’arrêter l’ex président géorgien, recyclé en opposant en Ukraine,
accusé de fomenter « un coup d’État ». Cependant, une foule de
sympathisants de Saakashvili les en avait empêché, infligeant ainsi une humiliation de notoriété mondiale au président Porochenko.
Une autre tentative avait eu lieu le lendemain, mais ce n’est que
vendredi que les forces spéciales ukrainiennes ont réussi à arrêter l’ex
allié de Porochenko.
Samedi, Saakashvili déclarait qu’il se considérait « un prisonnier des oligarques ukrainiens »
et se déclarait en grève de la faim. Dimanche, une énorme manifestation
avait lieu à Kiev, selon certains observateurs, la plus importante
depuis le mouvement de Maïdan en 2014. Les manifestants exigeaient la
libération de Saakashvili mais aussi l’ouverture d’une procédure
d’impeachment contre le président Petro Porochenko.
Finalement, lundi dernier un tribunal a décidé de libérer Saakashvili
et de ne pas prendre en compte l’avis du procureur estimant que
l’opposant devait être assigné à résidence, dans le cadre d’une
investigation sur l’organisation d’un coup d’État en Ukraine. Il s’agit
d’un nouveau revers important pour le président ukrainien, qui accuse
Saakashvili d’être en lien avec la Russie et l’ex président Viktor
Ianoukovitch, déchu en 2014.
En effet, l’évolution de la situation est en train d’entériner la
division du bloc pro-occidental en Ukraine, qui avait gagné grande
notoriété après le mouvement Maïdan en 2014. Anciens alliés, aujourd’hui
Porochenko et Saakashvili sont devenus les figures d’une forte
polarisation à Kiev.
L’ancien président géorgien accuse son ex allié d’être à la tête
d’une oligarchie corrompue et que celle-ci est en train de faire
obstacle au travail « indépendant » Bureau National Anticorruption
(NABU). C’est pour cette raison que Porochenko devrait quitter le
pouvoir, à travers un impeachment et au nom de la lutte contre la
corruption.
L’opposition semble être à la recherche d’une « voie brésilienne »
pour se débarrasser de Porochenko. Autrement dit, une sorte de manœuvre
institutionnelle pour pousser le président ukrainien à quitter le
pouvoir. Le fait que Saakashvili ait été libéré par un tribunal contre
l’avis du parquet est une expression que cette dispute commence à avoir
effectivement une traduction au sein de l’appareil d’État. En ce sens
aussi, le président Porochenko vient d’annoncer, en accord avec le FMI,
qu’il mettra en place un tribunal spécial anticorruption en février
prochain.
En effet, dans un contexte d’une économie en profonde crise et d’un
État endetté, d’une guerre larvée à l’Est du pays contre des forces
soutenues par la Russie et d’une pression politique forte où les
courants nationalistes et d’extrême droite progressent, les puissances
impérialistes ont besoin d’un gouvernement le plus légitime possible à
Kiev. Pour le moment elles ne semblent pas avoir pris le parti de
Saakashvili ou de Porochenko. Ou plutôt, les occidentaux jouent sur les
deux tableaux.
C’est pour cette raison que le FMI met en avant la question de la
lutte contre la corruption pour rendre plus légitimes les coupes
budgétaires. Cependant, comme affirme Andrej Nikolaidis dans l’ouvrage
collectif « Welcome to the Desert of Post-Socialism », par rapport à la
lutte contre la corruption dans les Balkans : « la lutte contre la
corruption dans nos démocraties balkaniques a le même caractère
permanent que les purges sous le stalinisme. Si les démocraties
libérales insistent autant sur la lutte contre la corruption, ne
serait-ce pas parce que la corruption est inhérente à la démocratie
libérale ? La lutte contre la corruption ne va jamais s’arrêter et la
corruption ne va jamais être éradiquée. […] En dernière instance, les
arrestations ne doivent jamais s’arrêter et le processus d’auto-purge du
système ne doit jamais finir » (p. 153-154).
Autrement dit, la lutte contre la corruption (inhérente au système
capitaliste) n’est qu’un prétexte utile et toujours disponible pour
éventuellement se débarrasser d’un certain personnel politique devenu
encombrant pour des fractions des classes dominantes et de
l’impérialisme. Cette affirmation peut être élargie à l’ensemble de la
région d’Europe de l’Est, notamment en Ukraine. Et cela semble être le
pari de Saakashvili et ses soutiens.
Dans cette situation, le problème pour les travailleurs et les
classes populaires c’est qu’il n’y a aucune option qui représente
vraiment leurs intérêts. Ni Porochenko, ni Saakashvili, ni les partis
nationalistes et d’extrême droite, ni la Russie de Poutine et ses alliés
locaux et encore moins les puissances impérialistes.
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