Mardi
dernier, l’ex président géorgien, Mikhaïl Saakashvili, actuellement en
lutte pour le pouvoir en Ukraine, était arrêté par les forces spéciales
de la police ukrainienne et puis libéré par la foule. Au-delà du «
spectacle », il s’agit d’une expression claire de la division et de la
crise qui traverse le camp pro-occidental en Ukraine.
La vie politique ukrainienne semble remplie de scènes
surréalistes ; de scènes pathétiques aussi ; parfois des deux à la fois.
Les images que la planète entière a pu regarder mardi dernier en font
partie. Des hommes cagoulés, membres de l’élite des forces ukrainiennes,
ont essayé d’arrêter Mikhaïl Saakashvili, devenu la principale figure
d’opposition au président Petro Porochenko, à son domicile. Mais
celui-ci a pu s’échapper et grimper sur les toits, menaçant de sauter
dans le vide.
Après ce théâtre, Saakashvili a pu être maitrisé et la police a pu
l’amener dans une fourgonnette. En réalité la besogne a été dure.
Saakashvili, entouré de policiers et d’une foule compacte qui le
soutenait, lance quelques mots aux manifestants et refuse de rentrer
dans la voiture. Un policier se pend littéralement à son cou pour le
faire rentrer.
Quand les cagoulés réussissent à l’introduire dans le van,
l’automobile était déjà entourée d’une multitude compacte ; des
« barricades » sont érigées plus loin. La voiture bouge d’un côté vers
l’autre, elle se balance. Plusieurs de ses vitres sont brisées. On
essaye d’ouvrir les portes. La voiture bouge toujours d’un côté à
l’autre. Un manifestant s’approche, menaçant, avec un pavé à la main.
Pas besoin de l’utiliser : la porte a cédé et aussitôt Saakashvili est
exfiltré du véhicule.
On a presque l’impression que Saakashvili lui-même ne comprend pas
trop ce qui arrive pendant quelques secondes, on dirait même qu’il a
peur. Mais quelques secondes plus tard, poing levé, il appelle la foule à
marcher vers le parlement. Le président Porochenko, le pouvoir d’Etat
et ses forces de répression, sont humiliés. Saakashvili au contraire a
vu sa position en tant qu’opposant au gouvernement se renforcer et
gagner en soutien direct partie une partie de la population.
De président en Géorgie à la lutte pour le pouvoir en Ukraine
En effet, Saakashvili a été président de la Géorgie de 2004 à 2013.
Il y faisait figure de « réformateur pro-occidental » contre l’influence
de la Russie dans l’ancien espace soviétique. La défaite militaire
éclair de la Géorgie contre la Russie à l’été 2008 a affaibli la
position de Saakashvili dans le pays. A la fin de son mandat il était
devenu très impopulaire et aujourd’hui il risque la prison dans son
pays.
En 2015, dans la vague du mouvement de Maïdan, qui avait chassé le
président Viktor Ianoukovitch, réputé proche de Poutine quoique la
réalité était plus complexe que cela, il a obtenu la nationalité
ukrainienne grâce à son ami de longue date, l’oligarque et actuel
président Petro Porochenko. Saakashvili a été nommé gouverneur d’Odessa.
Poste qu’il a occupé jusqu’à fin 2016 quad il devient soudainement
critique de son ex allié Porochenko.
Les accusations de corruption et de lenteur dans les réformes
néolibérales fusent de la part de Saakashvili envers Porochenko. Mais le
divorce devient irréversible en septembre dernier quand, lors d’un
déplacement à l’étranger, le pouvoir ukrainien décide de retirer la
nationalité ukrainienne à Saakashvili devenu trop encombrant. Cependant,
les supporters du géorgien organisent une opération spectaculaire et le
réintroduisent de force sur le territoire ukrainien. C’était une
première humiliation pour Porochenko mais avec moins de répercussions
dans la presse internationale.
Le bloc pro occidental explose, Poutine se frotte les mains
La division du bloc pro-occidental inquiète les puissances
impérialistes évidemment. Même si elles semblent voir la nécessité
d’avoir un gouvernement à Kiev plus légitime parmi la population, les
formes que cette lutte intestine prend n’est pas rassurante pour les
capitales occidentales.
Même si Porochenko perd de plus en plus de crédibilité parmi les
dirigeants des puissances occidentales, les actions spectaculaires de
Saakashvili ne sont pas forcément appréciées. Etre libéré des mains de
la police par une foule n’est pas pour plaire aux occidentaux qui se
méfient de tout type d’intervention directe des masses, notamment quand
elles agissent contre les autorités établies dans un Etat, même s’ils
sont sceptiques vis-à-vis des autorités du pays. Et agir ainsi deux fois
en quelques mois, devient même « suspect » pour Saakashvili, même si
les évènements, dès le début, semblent le dépasser.
En même temps, l’action de Porochenko contre Saakashvili mais aussi
contre les institutions anticorruption dites « indépendantes » est en
train d’exposer au monde entier le tournant autoritaire du président
ukrainien. Et cela n’est pas non plus apprécié par les occidentaux.
Porochenko apparait comme étant prêt à tout pour remporter les élections
de 2019, alors que des voix commencent à s’élever en faveur d’un
« impeachment » contre le président. Les risques d’un nouveau Maïdan ne
plaisent pas du tout aux impérialistes.
Mais si l’ensemble des puissances occidentales regardent
attentivement les développements en Ukraine, ce sont surtout les Etats
Unis qui s’en inquiètent. Ainsi, l’ex ambassadeur américain en Ukraine,
John Herbst, déclarait : « pour lutter contre l’agression de Moscou au
Donbass, le pays a besoin de paix intérieur et de réformes. Les leaders
politiques doivent lifter leurs différences et leurs griefs avec
civilité et en accord avec les intérêts du pays ».
En effet, les Etats Unis ont un intérêt particulier à maintenir leurs
positions en Ukraine contre la Russie, notamment après la défaite que
Poutine a infligé à leurs forces en Syrie. La fragmentation du bloc
pro-occidental à Kiev peut être vue par Poutine comme une opportunité
pour regagner un peu de l’influence perdue depuis 2014 dans le pays. Au
moment où Poutine est en train de préparer l’annonce de sa candidature
pour sa réélection aux élections de mars 2018, une avancée de
l’influence russe en Ukraine serait un grand cadeau pour le maitre du
Kremlin.
Quant aux travailleurs et aux classes populaires d’Ukraine, elles
continueront à être pris au piège de cette lutte réactionnaire entre la
Russie et les impérialistes occidentaux pour le contrôle de leur pays.
Il n’y aura jamais d’Ukraine indépendante tant que les impérialistes et
la Russie continuent à utiliser leur pays comme un terrain de jeu pour
leurs propres intérêts.
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